Mes amis les zèbres !


C'est un client, qui m'a incité à regarder cela.
Depuis quelques temps celui-ci s'interrogeait : "je me demande si je ne suis pas "surdoué", j'ai envie de faire des tests."
Il fit les tests.
Il m'en annonça les résultats par sms !" En effet je suis zébré ;=) ", comme une chose anodine, sans importance ! Et pourtant comme je lui répondis : "J'imagine que cette confirmation va vous amener une revisite intérieure sous ce nouvel éclairage !"
Ce que je n'avais pas prévu, c'est que cette "confirmation" et surtout cette forme d'autorisation que ce client s'était donnée en osant aller faire les tests, ouvrit en moi cette possibilité de regarder en moi les zébrures qui me constituent et que je n'avais jusqu'alors pas osé nommer, voire même identifier.

"Trop intelligent pour être heureux"

J'avais lu quelques temps auparavant le livre de Jeanne Siau-Facchin (JSF) "Trop intelligent pour être heureux" 1 et y avais trouvé de grandes similitudes avec une autre de mes clientes.
Avec celle-ci, du reste, nous avions partagé, de l'intérieur, je dirais, ces formes spécifiques de l'activité cérébrale qui provoquent un décalage entre la rapidité de la pensée et la lenteur de la mise en mots.
Comment continuer à dire lorsque la pensée est déjà deux ou trois pensées plus loin ?! La parole s'arrête alors et reprend plus loin dans le processus de la pensée.
Je constatai cela avec ma cliente et nous nous sommes rejointes à cet endroit-là.
En relation, c'est du reste un "reproche" qui m'est régulièrement fait : ne pas finir mes phrases." Comment veux-tu qu'on te suive ? "
Oui, je peux le comprendre, comme cela est difficile à suivre pour les interlocuteurs ! mais en dedans, comme il est difficile d'être à la fois avec les mots qui avancent à leur rythme et le flot des pensées qui a plusieurs longueurs d'avance !

Un horrible indicateur : le QI

Ce livre, donc, m'avait permis de comprendre qu'au delà de ce qui est communément appelé l'intelligence, quantifiée par un horrible indicateur (c'est moi qui le dis !), appelé : le Quotient Intellectuel, les personnes dites "surdouées", peuvent se caractériser par des fonctionnement cérébraux qualitativement différents. Peut-on parler alors d'intelligence ?
C'est de cela dont je veux parler ici.

JSF, avec une grande tendresse, je trouve, a proposé d'appeler ces personnes différentes sous le joli nom de " zèbres ". Le zèbre : "le seul équidé que l'homme n'a pas pu dompter" a pour caractéristique que chaque individu porte des zébrures spécifiques, qui le caractérisent , un peu comme nos empreintes digitales et qui permet à chaque zèbre de reconnaître ses semblables.

A ce titre, j'ai récemment reçu un nouveau client, dont le fonctionnement arborescent et rapide : une idée en amène une autre, qui en amène une autre, qui en amène une autre et ainsi de suite, et ce en quelques dizaines de secondes, fit lien avec cette forme de zébrures que je connais bien.
Lors de ce premier entretien, j'accrochais alors dans ma mémoire des mots-clefs, afin de me permettre de tracer le chemin de la pensée de mon client et de pouvoir lui livrer, lorsqu'il m'en laissera le temps ( !), les retours intérieurs que ces différents thèmes abordés avaient provoqués en moi.

En mode zèbre

Je sentis alors que si nous, dans l'ACP, nous parlons de processus, et qu'une part de moi tendait à "laisser faire le processus", il était important, pour ma relation avec ce client spécifique, de pouvoir accompagner le processus de pensées spécifique qui était le sien. La reformulation que je pouvais proposer, aidée par les mots clefs, a été, lors de cet entretien, une manière de reformuler le processus interne de mon client, de l'accompagner dans ce chemin arborescent et de l'y rencontrer, donc. Peu importait les idées, finalement. Et pour ce faire, je me suis mise en "mode zèbre" !

C'est lors du troisième entretien que j'osai lui parler des zébrures que je pouvais discerner chez lui et desquelles je me sentais proche.
Lors de cet entretien, mon client me montra combien cette forme de pensée lui permettait, dans une situation précise, d'envisager de nombreuses solutions, toutes les solutions, de voir les implications de chacune d'entre elles, toutes les implications, de les analyser mais comme finalement cet ensemble d'informations finissait par l'envahir, au point qu'il s'y perdait et qu'il n'arrivait plus à choisir.
La question que je lui posai, dans une situation spécifique et anecdotique qu'il me décrivait, le déconcerta : " Mais, vous, de quoi avez-vous envie ? " !!
Oui !, quand ce processus cérébral, que je nommerais de zébré, est "en route", celui-ci semble prendre alors toute la place et semble par conséquent, comme bloquer l'accès au "centre d'évaluation interne" de la Personne.
Le travail est donc peut-être ici d'apprendre à débrancher la machine à analyser pour ouvrir le chemin des ressentis et des envies.
Ce chemin est personnel. Je sais que le mien est corporel : une forme de recentration et de détente dans mon corps qui permet à l'excitation cérébrale de perdre alors en intensité.

Hypersensibilité

Cette autorisation de mon client, le premier dont j'ai parlé, contagieuse, donc, m'invita à observer mes fonctionnements internes et j'y dénotais un certain nombre d'entre eux, que JSF caractérisent de zébrures, comme celles évoquées plus haut par exemple.

Et si je décris dans la première partie de cet article la forme arborescente du processus de pensée des zèbres, je voudrais ajouter qu'à cette forme d'hyper-activité cognitive se superpose une " hyper-sensibilité " : les émotions circulent également à toute vitesse et ce de manière qui peut devenir exacerbée.

Comment alors ne pas se sentir submergéE par cette multitude d'émotions qui émergent ?
La meilleure solution peut être de fermer, ou de tenter de fermer, le robinet aux émotions.
Ce fut le cas, par exemple, pour ma cliente dont j'ai parlé plus haut.
Cette solution, adoptée généralement dans l'enfance, surtout lorsque l'environnement familial ne permet pas l'expression des émotions voire même, s'en méfie, devient inadaptée voire problématique à l'âge adulte, on le comprendra aisément.

En position d'accompagnante, ne pas avoir pris en compte à sa juste mesure cette spécificité zébrée, m'a certainement amenée à avoir des attitudes en décalage puisque je n'avais pas accès à ce tumulte émotionnel, dont je me méfiais à juste titre chez moi.

Immergé sans être submergé

A postériori, je constate que c'est lors de ma formation (psy) que j'appris à apprivoiser le flux de mes émotions et à mettre en place mes propres stratégies pour pouvoir être immergée dans mes émotions et donc dans celles de mes clients, sans pour autant être submergée par elles.

Aujourd'hui, lorsque je suis avec mes clientes en thérapie, ce n'est pas, pour moi, une question de juste distance puisqu'il m'est impossible d'être distante de mes émotions sans en être coupée ; il me faut comme doser ma présence émotionnelle comme s'il s'agissait d'un potentiomètre intérieur sur lequel j'ai appris à agir.

Parfois, dans certaine situation, et lorsque je sens que l'énergie émotionnelle est trop intense, c'est également cette forme de recentration que j'ai nommée plus haut, qui me permet de retrouver une détente émotionnelle intérieure ; je m'aperçois que souvent, pour moi, celle-ci est suffisante pour qu'émergent alors de ce capharnaüm, la ou les émotions principales, celles sur lesquelles je peux éventuellement m'arrêter voire communiquer, grâce à ce calme intérieur retrouvé.

Au delà du diagnostic : la Personne

Cet article est aussi comme un témoignage du fil de la pensée qui passe d'un sujet à un autre et de l'effort qu'il me fallut faire pour tenir une sorte de ligne directrice utile à la transmission du message principal de cet article, à savoir ma découverte de modes de fonctionnements mentaux spécifiques, et comme la conscience que j'en ai aujourd'hui m'incite à m'approcher autrement de mes clients (zèbres ou non-zèbres !) dans leurs fonctionnements,.

Il ne s'agit donc pas d'une question d'étiquette, de diagnostic, Rogers ne disait-il pas que le diagnostic, c'est le client qui le fait tout au long de sa thérapie, mais pour moi, d'une proximité nouvelle dans les processus intimes de la pensée de mes clients-es, une forme particulière d'empathie, donc."

Cet article est paru en mai 2013 dans la revue rogérienne "Trait d'Union"


Pour ceux et celles qui souhaiteraient en savoir plus sur les questions évoquées ici, je ne peux que vous conseiller de lire l'ouvrage cité ci-dessus (1) tout en ayant en tête que généraliser des fonctionnements zébrés à tous les zèbres ne serait pas prendre en compte leurs multiples différences.
Auparavant, JSF a écrit un premier livre sur les enfants dits "surdoués" (2) qui pose comme le dépistage le plus tôt possible de cette spécificité peut être aidant pour ces enfants qui sont (trop) souvent mal compris dans leur entourage et dans un système scolaire classique inadapté.
Je rajouterais que la lecture de ce premier ouvrage ne me semble pas absolument nécessaire pour lire le second.
(1) "Trop intelligent pour être heureux" - Jeanne Siaud-Facchin – édition Odile Jacob – février 2012
(2) "L'enfant surdoué" - Jeanne Siaud-Facchin – édition Odile Jacob – février 2002

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