Neuroatypismes et ACP - Autismes

Le contexte

Matt n'aime pas trop être en relation. Il ne sait pas comment faire. Et plus encore, en réalité, les autres ne l'intéressent pas vraiment. Il est assez solitaire. Mais il n'en est pas gêné plus que cela. Il se sent différent des autres mais il a également des amis un peu comme lui. Il les a rencontrés sur le net. Ils jouent à des jeux vidéos ensemble.
Matt finalise une formation d'informaticien, développeur.
La raison pour laquelle Matt vint me voir est qu'il s'interrogeait sur le parcours trans. Il me dit vouloir démarrer une transition (d'homme à femme). Il me fallut lui poser des questions car il avait du mal à élaborer seul. Et si j'arrêtai de le questionner, le silence retombait et il me regardait alors un peu fixement sans un mot.
Lorsque je m'informais plus précisément sur ses ressentis souvent il me disait "Je ne sais pas.» Je l'interrogeai sur ce qu'il souhaitait, mais il n'imaginait rien. S'il voulait que je le genre au féminin ? Il ne croyait pas. Etc.
Il avait beaucoup lu sur le net. Mais tout ce qu'il avait pu lire créait une cetaine confusion. Il ne savait pas dans quel ordre faire les choses. Traitement hormonal ? Épilation ? ALD ? Changement à l‘état civil ? etc. Je le renvoyai vers une association qui pourra le renseigner. Ce n'était pas mon rôle même si je lui dis quelques mots sur la diversité des parcours.
À la fin de la première séance il ne reprit pas rendez-vous, nous convînmes qu'il me recontacterait. Ce qu'il fit un mois plus tard.

Lorsque je le retrouvai, il m'expliqua qu'il avait pris rendez-vous avec un médecin pour démarrer un traitement hormonal dont il avait eu les coordonnées par l'association que je lui avais conseillée et qu'il était allé à une première séance d'épilation laser. Il allait vite. Comme si notre premier entretien avait débloqué en lui son processus.
Lorsque je fus de nouveau à son contact, je fus de nouveau frappée par ses spécificités : sa difficulté d'élaborer, de rentrer en relation, ses regards fixes sur moi, son corps raide etc.

Dire ou ne pas dire ?

Et plus la séance avança, plus monta en moi cette interrogation : est-ce que je lui dis quelque chose de ses spécificités qui m'interpellent et est-ce que je pose le mot d'autisme ?
Je ne suis pas habilitée à faire des diagnostics, et du reste, comme le dit G.Marian Kinget dans l'ouvrage qu'il a écrit à quatre mains avec Rogers1 : "La thérapie, elle-même, est un processus diagnostique qui se déroule dans l'expérience du client."
Et pourtant...

Concernant l'autisme, en thérapies la question s'est déjà posée plusieurs fois pour moi et pendant longtemps, j'avais pris le parti de ne pas poser d'étiquette. Par méconnaissance ? Par peur ? Je m'interrogeais.
Puis il y eut cette expérience avec Bénédicte que j'ai suivie pendant deux ans et avec qui nous avons pu partager l'acceptation de tous ces symptômes qui handicapaient son quotidien, et élaborer autour de la manière de vivre avec ; mais c'est lorsqu'elle-même put poser le mot d'autisme et qu'elle démarra le chemin des tests, qui confirma son autodiagnostic du reste, que les choses purent vraiment changer pour elle. Elle put bénéficier d'une reconnaissance officielle de son handicap, mais aussi cette révélation fit sens dans ses relations aux autres et lui permit d'accepter ses spécificités, voire de les revendiquer. Fière d'être autiste2 !

En écrivant ces mots, je repense également à Tom, lorsque je l'ai rencontré•e. Tout comme avec Matt, j'avais pu remarquer sa confusion interne, son empêchement à se dire, ses difficultés relationnelles etc. et ces problématiques furent au centre de notre travail pendant de longs mois. Comment apprendre à se comprendre lui-même et comment s'ouvrir aux autres sans peur ? Trois ans plus tard il me parla de ses interrogations sur la possibilité qu'il soit autiste. Je lui transmis alors mon propre regard et comme je n'avais jusqu'alors pas osé le lui signifier.

Centré sur l'expérience

Plus que rechercher à poser des étiquettes, j'aime à observer les spécificités de chacun qui donnent une coloration particulière à nos perceptions et à nos expériences. Il fallut du temps à Tom pour comprendre qu'il fonctionnait différemment et par exemple que s'il s'était fait prendre à plusieurs reprises par des relations toxiques qui l'avaient meurtri•e, c'était en partie dû à sa difficulté à percevoir les dangers.

Ainsi, l'Approche Centrée sur la Personne et plus précisément l'accent que nous mettons sur les expériences aide, à premier abord, à ne pas avoir besoin d'autre diagnostic que de s'attacher à l'expérience. C'est du reste à cet endroit que nous avons travaillé avec Bénédicte ou Tom. Lorsque ensemble nous mettions en lumière leurs particularités, mon regard les aida notamment dans leur acceptation de ce qu'ils pouvaient ressentir comme honteux et qu'ils avaient si bien appris à taire, il fortifia leur bienveillance envers eux-mêmes et de fait il leur ouvrit la possibilité d'envisager leur propre autodiagnostic.

Dans ce contexte pourquoi le thérapeute aurait-il tout de même besoin de proposer un diagnostic3 ou une étiquette ? Et pourquoi est-ce que, à contrario, je m'interrogeai ici avec Matt sur l'opportunité de le faire ?

Oser poser un diagnostic

Pour mes clients zèbres4 (ou surdoués, mais je n'aime pas ce mot) si je n'éprouve pas le besoin de proposer l'étiquette à mon client, qui généralement, du reste, est déjà informé sur la question, il s'est avéré que souvent, je peux en sentir l'utilité malgré tout. Car au-delà du diagnostic, c'est la mise en lumière potentielle d'expériences spécifiques attachées à son neuroatypisme que j'ouvre alors.
Pour ceux ou celles de mes client.e.s qui s'interrogent sur leur possible transidentité, la question du diagnostic est évidemment centrale. Elle est posée généralement dès le premier entretien et si elle n'est pas résolue immédiatement, c'est la personne elle-même qui va élaborer autour.
Tout cela peut sembler aisé et clair, alors pourquoi en serait-il autrement avec l'autisme, pourquoi ne pas proposer ouvertement la question ?

C'est ce que je tentai avec Matt. Je lui fis part de mon regard. Je le fis évidemment de manière délicate, je m'attachai à ce qu'il comprit que je parlais d'hypothèses. Je précisai aussi que le terme de spectre autistique englobe des expériences et des réalités très différentes. Je ne me leurrais évidemment pas sur l'importance qu'il pourrait attacher à mes mots vu ma position de thérapeute. Il ne dit rien. À son habitude, devrais-je dire.

Si Bénédicte et Tom ont trouvé ailleurs le chemin de l'étiquette, la proposer à Matt était certainement une prise de risque. J'aime à penser, comme le suggère Kinget, que "le client, en dernier ressort, est l'arbitre5" et donc que Matt avait la liberté de balayer d'un revers de main mon hypothèse s'il la considérait fausse ou posée inadéquatement. J'en fis le pari ici.

Lors de la séance suivante, la troisième donc, Matt me fit part en toute fin que ses parents avaient également évoqué cette question de l'autisme il y a plusieurs années. Il leur avait donc parlé de nos échanges. Il m'interrogea : "Pensez-vous que je doive regarder plus précisément la question ?"

Et après ?

Comme vu ci-avant, au-delà de l'étiquette c'est un ensemble de caractéristiques dont il est question. Lorsque certaines sont handicapantes ou tout simplement questionnées, proposer une étiquette permet à la personne de faire ses propres recherches et notamment de lire des témoignages de personnes concernées6. Cela l'aide ainsi à mettre en perspective ses propres expériences et à élaborer son propre autodiagnostic. Le thérapeute ACP peut s'appuyer sur son acceptation inconditionnelle, mais également sur la connaissance qu'il peut avoir des expériences spécifiques des personnes neuroatypiques pour leur offrir ainsi un lieu bienveillant pour élaborer sur leurs différences en toute liberté et trouver des solutions pratiques adaptées à leurs éventuelles difficultés.

Pour terminer, je m'aperçois pour ma part que plus je m'informe, plus j'apprends, plus j'explore ce que peuvent vivre les personnes différentes de moi au plus intime de leurs expériences, plus alors je développe mes capacités empathiques à leur égard et plus je peux tranquillement accompagner leurs processus. Car si certains symptômes peuvent ne pas m'être étrangers, d'autres ne me sont même pas imaginables.



Pour aller plus loin sur l'autisme je peux vous proposer ces sites : https://www.autisme.qc.ca/ ou https://www.actionsautismeasperger.org/ mais il y en a plein d'autres sur le net...


(1) Carl Rogers & G.Marian Kinget ,Psychothérapie et relations humaines, Publication universitaire de Louvain, Vol.2 , 3ème édition, p.250
(2) Alexandra Reynaud, Asperger et fière de l'être ; voyage au cœur d'un autisme pas comme les autres, Eyrolles, 2017
(3) Dans cet article le terme diagnostic ne doit pas être entendu au sens médical, c'est à dire en "l'identification d'une maladie chez un patient d'après l'étude des symptômes et des signes" (Sic le dictionnaire de l'Académie française) mais comme la mise en mot de ce qui nous constitue et de nos manières de le percevoir. Le terme étiquette renvoie à un ensemble de caractéristiques généralement associées.
(4) Mes amis les zèbres, TU n°25, mai 2013
(5) Psychothérapie et relations humaines, p.249
(6) Par exemples : https://bleuetatypique.com/ ou https://www.jesuis1as.com/


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