G. est décédée samedi.
Cela faisait plusieurs années qu'elle vivait atteinte par une très longue maladie, un cancer, vous l'aurez compris, et celui-ci a finalement eu le dessus.

Même si une certaine distance géographique nous séparait, j'aurais aimé accompagner G., garder le lien fermement entre nous, mais je n'y suis pas arrivée, je n'ai rien suivi du tout.
J'ai eu quelques contacts épisodiques : un coup de fil par-ci, quelques échanges de messages par-là...
Je n'ai pas su faire mieux, faire plus.

G. était une amie, pourtant. Nous avons vécu des moments d'une très grande intimité, d'une très grande profondeur. Nous nous étions retrouvées aux endroits de nos blessures les plus innommables, sans nom, et y avions posé ensemble quelques mots, intenses partages.

Et pourtant, ces dernières années, je n'ai pas su être à la hauteur des sentiments qui me portaient vers elle. Je n'ai pas su l'accompagner, elle, qui ne me le demandait pas, tant sa discrétion et sa pudeur étaient grandes.

Il y a quelques années, déjà, S., un ami de longue date, est mort des suites d'une LSA (maladie de Charcot) après plusieurs années d'une progressive déchéance.
Pareillement, je me suis éclipsée.

J'ai peur de la mort. Y penser me donne le vertige.
J'ai peur de la déchéance du corps et de l'esprit.
Je fuis.


Il y a quelques semaines, une cliente me parlait de la mort de son chat qu'elle avait accompagné chez le vétérinaire puis jusqu'à son dernier souffle.
Elle a assisté à cela : le dernier souffle.
Elle me parlait de cet instant précis où la vie quitte le corps et elle ressentit, et je ressentis avec elle lorsqu'elle m'en parla, l'immense solitude de l'être qui dans un instant ne sera plus et qui s'efface.
Elle arrêta de caresser le corps lorsque la vie s'en fut et retira sa main.
Le vétérinaire, à son tour, posa la sienne sur la dépouille. Geste vain, aux yeux de ma cliente, décalé, inutile voire déplacé. Je la rejoignis à cet endroit là.

Je sais parfaitement qu'un jour viendra le jour de mon dernier jour.
"J'aimerais mourir en recevant un pot de fleur sur la tête !" je badine parfois.
Plus que la mort, c'est l'idée de la fin de vie qui m'effraie.

Pourquoi vivre si la vie doit s'arrêter bientôt ? Comment vivre avec l'idée de ma mort imminente ?

G. est décédée samedi et je ne l'ai pas accompagnée.

Je ne me sens pas coupable, je me sens triste ... triste de ce que ma faiblesse ne m'a pas permis d'être là où j'aurais voulu être.
Côtoyer la fin de vie provoque en moi une profonde désespérance.

Peut-être devrais-je me confronter ? Peut-être devrais-je aller à la rencontre des personnes ainsi en sursis ?
Je n'ai pas envie de me blaser.

Quelques semaines avant sa mort, G. m'a téléphoné : "Je contacte ceux que j'aime tant qu'il est encore temps." ... pour leur dire au revoir. Si elle ne prononça pas ces derniers mots, je les entendis tout de même. Je lui parlai de ma difficulté à être auprès d'elle mais que mon cœur était toujours à ses côtés. C'est le mieux que je pouvais faire. Lui dire pour qu'elle le sache. Mais à quoi sert l'amour si ses manifestations sont aux abonnés absents ?

G. est décédée samedi et je ne l'ai pas accompagnée.


Depuis une vingtaine d'années, je crois, depuis que j'ai pris conscience –dans mon corps - qu'en réalité la vie n'est pas infinie, depuis une vingtaine d'années, donc, je vis avec l'urgence de vivre.

Ainsi, la conscience aigüe de l'éphémère et de la vanité de la vie, et l'effroi qui en résulte, m'empêchent de côtoyer la fin des êtres qui me sont chers – pour ne pas plonger avec eux - mais créent en moi une formidable force de vie, et ce, dans deux mouvements paradoxaux.


Cet article est paru en mai 2019 dans la revue rogérienne "Trait d'Union".
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