Cet article est paru en juillet 2022 dans la revue rogérienne "Trait d'Union".

photo : http://slack.fr

Listen, listen, listen

De ma couleur de thérapeute et de l'orthodoxie

Listen, listen, listen....
Je me souviens de ces mots prononcés par Judith Moore lors du groupe de rencontre de mars 2017 organisé par l'AFP-ACP à l'occasion de l'anniversaire des 30 ans de la disparition de Carl Rogers, comme une invitation à écouter nos clients toujours plus et plus encore.

Listen, listen, listen...

Ces mots souvent sont présents en moi lorsque précisément j'ai la sensation de perdre ma cliente, lorsque je m'en éloigne, lorsque, par exemple, après être intervenue je me rends compte qu'il lui faut quelques secondes pour comprendre ce que je viens de lui dire. Ce temps me fait alors réaliser que je n'étais pas à sa proximité, que je me suis éloignée de l'endroit intérieur où elle se trouve. Je ne m'en veux généralement pas, je ne suis pas infaillible. Mais alors : listen-listen-listen, ces mots me reviennent.
Ils m'obligent à me recentrer sur mon écoute, sur ce que les propos de mon cliente viennent résonner en moi, ils m'invitent à reprendre le chemin intérieur de mon empathie pour elle.

Funambule

Si je suis trop proche, je risque de m'y perdre, si je suis trop centrée sur moi-même je risque de la perdre.
Listen-listen-listen ! Oui, le triptyque rogérien est subtil. Et c'est précisément dans la finesse nécessaire pour tenir son équilibre à tous les moments de la thérapie que se situe pour moi la magnificence de l'Approche Centrée sur la Personne.

J'ai parfois la sensation comme une funambule de déplacer le balancier de mon centre intérieur un petit peu à droite, un petit plus à gauche, de marcher sur le fil du triptyque rogérien et lorsque je me sens en déséquilibre de tenter simplement de revenir à la subtile application des attitudes.

Orthodoxie

C'est pourquoi je peux dire que dans le cadre de ma pratique je me sens heureuse et confortable, voire fière, de mon orthodoxie !

Si l'orthodoxie peut être regardée comme une approche d'arrière garde, elle est pour moi, au contraire, comme une ligne directrice intemporelle puisque s'appuyant précisément sur la Personne du thérapeute, sur ma Personne.

J'entends parfaitement que certains parmi mes pairs prônent des approches intégratives, que certain.e.s praticien.ne.s ACP recourent à des techniques, je comprends que l'on pratique l'ACP autrement qu'avec orthodoxie, mais pour ma part, je ne souhaite pas m'en éloigner.

Car si j'imagine bien que parfois des techniques pourraient accélérer le processus de mon client, je sais précisément que les utiliser m'éloignerait de mon centre et si le seul recours aux conditions de la thérapie décrites par Rogers peut créer des sentiments inconfortables d'impuissance, je sais également que la pleine acceptation de mon impuissance m'aide précisément à aller plus loin en moi-même, à ne pas être tentée de rechercher de solutions pour l'autre et par là-même à rester à ma place.

Engagement

Et puis bien sûr : qu'est-ce que, dans le flot de mes ressentis, images, liens, pensées qui me traversent en relation avec mon client, je vais lui refléter ? Qu'est-ce qui est alors le plus juste ?
J'ai constaté que je privilégie souvent les émotions quand elles sont présentes.
Je n'hésite pas non plus, quand elles s'invitent en moi, à mettre en lien ses expériences présentes avec celles passées qui peuvent venir éclairer les premières.

Suis-je alors encore orthodoxe ?! Ne suis-je pas en train d'influencer son processus en l'invitant à observer des parties de lui-même plutôt que d'autres ? À cette dernière question la réponse est évidemment oui !

Et pourtant, ne pas le faire reviendrait à nier ma personne de thérapeute. Là encore, il me faut donc apprécier ce qui est juste, pertinent, en fonction de ce que je perçois de mon ou ma client·e, de la situation et de mes mouvements intérieurs, c'est ainsi que je me sens engagée dans la relation.

Peut-être pourrions-nous appeler cela la qualité de présence ?


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