La parentalité en questions

C'est Sofia* qui est enfin arrivée à couper les ponts avec son père, c'est Bertrand qui n'échange plus avec sa mère que par sms pour ne pas subir ses assauts verbaux, c'est Marc qui n'a toujours pas avoué son homosexualité à ses parents alors qu'il a largement passé la quarantaine et c'est Catherine qui ne reçoit des nouvelles de son père qu'à son bon vouloir, après qu'il les a laissés, abandonnés, elle et son frère lorsqu'elle avait quatre ans.

C'est Cassandre qui soutient son demi-frère quand leur père commun violente sa nouvelle compagne, c'est Léo qui subit encore l'amour envahissant de sa mère (peut-on appeler cela de l'amour ?) c'est Martin qui redoute de voir ses parents débarquer chez lui et c'est aussi Déborah dont la mère a écrit un livre il y a deux ans dans lequel elle dresse un tableau de sa fille (elle) loin d'être flatteur.

Enfin, c'est Michèle qui a subi les attouchements de son beau-père, c'est Tang qui pendant toute son enfance a été battu par ses parents et qui aujourd'hui leur pardonnent, comme Mona pardonnent aux siens d'avoir été occupés au restaurant toutes les soirées de son enfance, etc.

Combien tous ses parents viennent s'inviter dans les thérapies de mes clients et combien ces expériences qu'ils m'exposent viennent m'interroger sur ma propre place de parent et plus globalement sur la parentalité.

Comment ne pas se questionner ?

" Toutes mes amies ont leurs enfants avec elles pendant le confinement, mes deux filles n'ont pas voulu venir avec moi : il y a quelque chose que j'ai dû mal faire..." me dit un jour Françoise* lors d'un certain mois de mai. Les deux filles de Françoise, qui n'ont pas voulu se confiner avec elle, ont-elles pour autant des griefs envers elle ? Telle est alors sa question.
Je me doute de la réponse : oui !

J'ai cru comprendre, par ce qu'elle m'en a dit, que les filles de Françoise, comme Léo vis à vis de sa mère, la trouvent un peu... embarrassante. Son amour est trop. Sa présence est trop. Ses conseils sont inappropriés et ses exigences fatigantes. Comme Léo, j'imagine, elles n'osent pas lui en parler de peur de sa réaction et de la blesser.
Avec délicatesse, je tâche de mettre des mots. Nous parlerons aussi de sa relation avec sa propre mère. Le schéma se répète. Je me suis sentie marcher sur des œufs. Subtilité du trio rogérien.

Il faudra un certain temps pour que Françoise arrive à commencer à regarder ses filles comme des personnes adultes, autonomes, libres en somme de son attachement. Parallèlement son devoir filial par rapport à sa propre mère qui loge non loin de chez elle et qui devient de plus en plus dépendante, renforce le paradoxe dans lequel elle se trouve alors.

La parentalité comme l'enfantalité créent-elles des devoirs ?

La question un jour est posée. La réponse de Françoise vient spontanément : Oui !
Il lui faudra du temps pour admettre, si ce n'est accepter, qu'il en soit autrement pour ses filles. Elles semblent ne pas se sentir d'obligations par rapport à leur mère. Françoise doit-elle s'en réjouir, même si elle en pâtit ? A-t-elle peur pour elle pour l'avenir ?

Dans un environnement où la collectivité prend en charge les ainés, pas toujours dans des conditions très satisfaisantes, il est vrai, les enfants n'ont en principe plus à subvenir aux besoins de leurs parents âgés. Toutefois, pour la mère de Françoise il en va différemment, elle n'a pas du tout envie de terminer sa vie dans un Ehpad. Sa fille le comprend, bien sûr, et elle a décidé d'être là pour sa mère.

Une autre fois elle interroge les devoirs grands-parentaux :
"Ma mère m'a aidée à élever mes deux filles. Mes amies, souvent gardent leurs petits-enfants. Devrai-je en faire de même avec les enfants de mes filles ?"

Mais les filles de Françoise, feront-elles ce qu'elle-même fait pour sa mère ? En posant la question elle y répond.
- Vous ressentez de l'injustice...
- Mais si elles m'aiment... commence-t-elle songeuse.

Et l'amour ?

Les filles de Françoise, si elles ne se sentent pas de devoir envers leur mère, ne l'aiment-elles pas pour autant ?
Quand Françoise se demande pourquoi ses filles ne se sont pas confinées avec elle, plus encore que ses éventuelles erreurs, n'interroge-t-elle pas en réalité l'amour qu'elles lui portent ?
Et elle-même, est-ce parce qu'elle aime sa mère qu'elle se sent redevable envers elle ?

Qu'est-ce que l'amour ?
Décidément on en revient toujours là !
Est-ce la force du lien ? Quelque soit sa forme ?

Me vient cela :
L'amour se caractérise par les sentiments et les émotions que je ressens en la présence physique ou mentale de ceux que j'aime et ce sans aliénation ni enfermement. Je peux penser à eux mais je peux également ne pas y penser.

Sans aliénation ni enfermement, j'ai posé les mots pour moi.

Par les devoirs qu'elle cherche à imposer au nom de l'amour filial, Françoise ne crée-t-elle pas de l'aliénation et de l'enfermement. Ses filles résistent. Par cette résistance n'invitent-elles pas leur mère à regarder l'amour autrement ? Ne tentent-elles pas de lui proposer un autre modèle ? Par exemple un modèle où chaque personne serait libre et autonome en relation !

Amour conditionnel, amour inconditionnel

Comment Françoise aime-t-elle ses filles lorsqu'elle veut qu'elles se comportent comme elle aimerait qu'elles le fassent ? Les parents de Marc l'aiment-ils lorsqu'ils ne veulent pas entendre l'homosexualité de leur fils ? (à ce qu'il croit tout au moins) etc.

Il faudra à Françoise apprendre à lâcher. Lâcher les conditions, lâcher le pouvoir que les conditions créent. C'est souvent la peur qui crée résistance et rigidité, c'est par la confiance, en elle, en la vie, que lui apportera la thérapie qu'elle pourra s'en libérer. Lâcher pour ses filles lui apprendra à lâcher aussi vis à vis de sa mère.

- Si je ne m'occupe plus d'elle, elle va penser que je ne l'aime plus.
- Vous croyez aussi cela pour vos filles ?

Finalement, elle trouvera une dame de compagnie qui accueillera sa mère lorsque celle-ci ne pourra décidément plus vivre seule chez elle.
Elle continuera à passer la voir quotidiennement.

Lien, amour et marques d'amour

Par ses visites régulières, il était important pour Françoise de garder le lien.

"Mes filles m'aiment-elles alors que c'est toujours moi qui fais l'effort d'aller vers elles ?" s'inquiète bientôt Françoise. Besoin d'amour, besoin de reconnaissance, besoin de marques d'amour...

Françoise a manifestement plus besoin de la présence de ses enfants que l'inverse. Ses filles sont vraisemblablement déjà passablement occupées à prendre en charge leurs propres vies.

Du coup le questionnement de Françoise ne parle-t-il pas de son isolement ?
Et donc comment faire pour qu'il en soit autrement ?
Ce travail est aussi celui de la thérapie de Françoise : fortifier sa relation au monde et à elle-même, développer sa joie d'être, son envie de vivre elle-même en autonomie et les mettre en œuvre.

C'est alors peut-être qu'elle pourra accepter et vivre sereinement la dissymétrie des besoins de liens sans avoir à les forcer.


* Tous les prénoms ont évidemment été changés.


Haut de page
Plan du site